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[La Revue des Mines #513] L'éloge du doute

Revue des Ingénieurs

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14/10/2021

Auteur : François VERNOUX (N 1984 ICiv)

"Les cons ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnait", Michel Audiard. Le sage, lui, doute avant, pendant et après l'action. C'est pourquoi qu'il atteint son but. Si Giordano Bruno, Galilée, Nicolas Copernic et d'autres n'avaient pas douté des certitudes de l'obscurantisme, Thomas Pesquet ne serait pas dans l'ISS. Si Albert Einstein n'avait pas douté de sa propre théorie, celle des cordes n'aurait pas vu le jour.


Le doute est la qualité première d’un chef. Les usurpateurs cachent facilement leurs carences derrière des certitudes. Et leurs courtisans les confortent dans leur orgueil, espérant partager les profits. Las, dans tous les domaines (politique, industriel, associatif…) la roche tarpéienne est proche du Capitole si le chef ne prend soin de douter.
Les exemples sont nombreux. Même les capitaines d’industrie chutent, se croyant éminents, transcendants, omnipotents et donc intouchables. Non, le chef n’a pas toujours raison, mais il n’a pas le droit d’avoir tort. Lorsqu’un chef se trompe, il perd la confiance de son équipe, il n’est plus suivi. Cependant, il peut douter.
Le capitaine Smith, lui, n’a pas douté en prenant la mer avec le Titanic. Impossibilité de rencontrer un iceberg aux dires des géographes. Impossibilité de ne pas le voir, lui et ses officiers étaient la crème de la marine marchande. Impossibilité de couler selon les affirmations des architectes…
Et pourtant !
Douter n’est pas faiblesse, au contraire. Le chef qui doute se montre responsable. Douter n’est pas perdre du temps, au contraire le doute vous prévient des embûches et vous permet d’atteindre sans retard inopportun votre but. Douter n’est pas anxiogène, au contraire. Le doute partagé crée la cohésion au sein de l’équipe qui devient résiliente (elle sait plier sans rompre sous la contrainte car en son sein chacun sait que l’autre est un support, un appui). Douter n’est pas être indécis, au contraire le doute, en solidifiant les fondations, ouvre la voie du succès à l’audace.
Trop de gestionnaires font des économies sur l’architecture de prévention et sur le dispositif de protections. Si une catastrophe survient, les assurances payent mais le capital immatériel de l’entreprise est affaibli. La réputation, la confiance ne sont pas couvertes par les assurances. Et la cohésion interne présente des failles… Le chef n’a pas su prévoir ! Certaines assurances ont évalué le ratio d’un euro économisé jusqu’à 135 euros de dommage.

ALORS, COMMENT RÉCOLTER LES FRUITS DU DOUTE?

AVANT, en partageant votre planification de crise. La planification est l’expression du doute de votre organisation, de votre prévention et de vos protections. En corédigeant avec chaque opérationnel ses fiches de tâches du temps calme au naufrage, vous développez la culture du risque au sein de votre équipe et vous perfectionnez vos plans qui deviennent, qui plus est, ceux de l’équipe. En favorisant l’entraînement aux exercices : chacun, jouant sa partition avec ses moyens, pourra vous interroger sur ses doutes. C’est là que se forge la cohésion.
Vous aurez aussi la sagesse de déléguer dès le temps calme pour développer l’intelligence de situation de vos équipiers, une capacité fort utile dans la tempête (cf. ci après). En diffusant la culture du risque, vous développez l’aptitude à observer les signaux faibles de rupture (doute sur la solidité de votre dispositif).

PENDANT, vous aurez la prudence de vérifier régulièrement l’exactitude de votre ressenti de la situation et l’adéquation pérenne de votre stratégie. Vous évaluerez vos potentiels détenus et nécessaires à l’exécution de vos tactiques. Ceux qui ne doutent ni de leur stratégie ni de la logistique de leur tactique vont droit dans le mur. Vous partagerez vos doutes en partageant vos tableaux de bord afin que chaque équipier puisse se situer, voire signaler une certitude erronée. Vous donnerez vos ordres en 6 items: Situation, Intention, Action, Organisation, Contraintes et Protocoles. Votre énoncé de la situation permet à celui qui reçoit l’ordre d’en vérifier la concordance avec son propre ressenti.
Votre intention permet à celui qui doit exécuter l’ordre de le faire dans l’esprit et non à la lettre. L’action fixe la mise en oeuvre éclairée par l’organisation et bornée par les contraintes et les protocoles. Ceux qui, de loin, affirment leurs certitudes en ne délivrant que l’item « action » se privent de l’intelligence de situation de leurs équipiers.
D’autant que bien souvent sous la tempête et toujours lors d’un naufrage, vos équipiers sont isolés sans appui ni soutien. S’ils connaissent vos intentions et se savent soutenus par votre confiance, ils seront efficients. Sans le savoir, en exprimant votre ressenti de la situation et votre intention, vous exprimez votre doute et surtout votre confiance : ne faites pas obligatoirement ce que je dis, mais faites pour le mieux afin d’atteindre le but que nous avons ensemble déterminé. Plus vous déléguez, plus vous commandez ! Vous avez 4h !

DR

APRÈS, et surtout si vous avez gagné, doutez, doutez encore ! Si vous avez repéré des points de fragilité ou de rupture, vous devez les prendre en compte et remettre sur le métier votre ouvrage prévention, protections, planification, entraînement, exercices… Les Chinois écrivent crise en “catastrophe et chance” : WEI JI. Ils signifient ainsi que toute catastrophe vous permet de mieux vous préparer. Vous augmentez ainsi votre champ de la maîtrise du risque, et vous réduisez votre champ de gestion de crise.
Pour donner confiance, on pare son ego de certitudes. Pour conserver la confiance, il faut douter. Que ce soit pour être élu ou être choisi, il faut trop souvent (malheureusement) afficher un projet gagnant sans maîtriser le futur incertain. De fait, l’électeur ou le sélectionneur achète un rêve (c’est facile). L’état de grâce est généralement court (inversement proportionnel à l’espoir du rêve). La sagesse voudrait que le choix se fasse sur la capacité à être un CHEF prêt à affronter l’indécis, la malveillance, l’inédit...
Le vrai chef, non contestable et non contesté, peut douter sans crainte et garde ainsi la confiance de ses équipes. L’usurpateur ou l’incapable ne peut montrer la moindre faille sans ouvrir une brèche fatale, c’est pourquoi il chute dès la première crise. Même ses courtisans le lâchent. On peut facilement obtenir la discipline par la contrainte. Cette gouvernance est rarement efficiente, sans cohésion la discipline est peu efficiente. Cette gouvernance est surtout fragile, comme le souligne Guillaume Tell : la contrainte est mère de la sédition.
Le bon chef a comme priorité de créer son équipe par temps calme pour s’assurer de sa résilience sous la tempête. La cohésion est la force principale de toute organisation, quel qu’en soit le domaine d’activité. Gouvernance sans doute n’est que ruine du succès.

 

FRANÇOIS VERNOUX (N84), président du club Intermines Gestion de crise, est l’auteur de Situation de crise et de Cheffer, cet art complexe tout d’humanité.

 

Cette rubrique est ouverte à tout Mineur souhaitant publier dans la Revue. Comme son nom l’indique (Libre propos), tous sujets peuvent être abordés, dans le respect de la bienséance. Le Comité de rédaction est souverain, sans se justifier, quant à la publication des textes qui lui sont proposés.

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